Colloque 2012

Le Voyage dans tous ses états

Programme
Vendredi et samedi 16-17 mars 2012
Maison de la Recherche, Université Paris-Sorbonne
28, rue Serpente. 75006 Paris - Salle D35

Colloque organisé pour l’ADIREL (Travaux de littérature) par le Centre de recherche sur la littérature des voyages (CRLV), sous la direction de François Moureau.

Site web : http://www.crlv.org

La littérature des voyages est un genre « métoyen », expression du 17e siècle qui définit assez bien un genre … indéfinissable. Le propos de ce recueil est d’en baliser les formes et les contenus dans le domaine français, depuis le Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine, sans négliger les apports antiques et la nécessaire ouverture sur les littératures européennes, voire de plus lointaines encore.

Le statut du récit de voyage comme objet de simple littérature est relativement récent. Il correspond en gros au développement de la littérature industrielle et du journalisme au cours du XIXe siècle. Cela peut expliquer qu’on l’ait souvent perçu comme de la « littérature de gare » ou comme une forme à peine plus personnelle de la littérature de guide. L’écrivain voyageur (avec ou sans tiret) est une catégorie de journaliste et, vers la fin du siècle, le père plus ou moins légitime du « reporter ». L’écrivain voyageur met en scène le voyage qui devient ainsi un produit de consommation renouvelable. Auparavant, les relations de voyage étaient, sauf exception, le produit d’un projet dont la mise en  forme littéraire n’était que très exceptionnellement l’ambition première.

Si l’on met de côté les voyages fantaisistes et les prosimètres dont le caractère plaisant correspond à une littérature de divertissement et parfois de subversion des genres  - de Chapelle et Bachaumont, de La Fontaine à Sterne -, les relations de voyages ont le plus souvent une fonction liée aux activités du voyageur. On ne voyage pas « par plaisir », comme l’on disait au XVIIIe des artistes amateurs.  Ces « amateurs » se nommeront des touristes au siècle suivant. Le voyageur ancien justifie son projet d’aller sur les routes ou sur les mers, sur les chemins du pèlerinage ou sur la voie maritime des épices, sur les sommets des Alpes et des Andes ou sur le parcours fléché du Grand Tour, par de très légitimes raisons qui n’ont rien à voir avec l’art d’écrire. Quand les écrivains voyagent et rédigent la relation de leur périple, ils ne songent pas à publier un écrit intime qui tient un peu trop de la littérature de guide et du journal intime : c’est ainsi que les contemporains seront privés des journaux de Montaigne, voire de Sade. D’autres documents comme les rapports diplomatiques de tournée, dans l’Empire ottoman, par exemple,  ou les journaux de bord dont le texte mis à jour quotidiennement par les officiers de la Marine royale devait être remis aux autorités dès le retour au port, sont de toute évidence une littérature réservée. Un futur écrivain, Robert Challe, passionné d’anonymat de surcroît, compose un journal de bord de son voyage aux Indes orientales qu’il destine au ministre de la Marine et à un parent : le texte révisé paraîtra posthume, trente ans après le voyage.

D’ailleurs, le voyageur n’est pas nécessairement celui qui rédige son voyage pour la publication. Si les grandes circumnavigations du XVIIIe donnent lieu à des refontes de journaux de bord par le voyageur lui-même, pour Bougainville, ou grâce à des rédacteurs recrutés par l’Amirauté britannique, pour Cook, on voit apparaître, dès le XVIe siècle,  des plumes mercenaires que l’on nommera au siècle suivant des « relateurs ».  C’est  alors que vont se multiplier ces couples indissociables : Thevet voyage, Belleforest rédige ; Pyrard de Laval voyage, Bergeron rédige, etc. La relation de voyage se situe alors en marge du récit de vie comme une espèce de fiction référentielle.

Cela permet d’utiliser cette forme malléable, chronologique et descriptive, pour mettre en scène des univers parallèles, aussi vraisemblables que fictifs, d’où naîtront les utopies les plus variées. Lieux de nulle part certes, mais que le voyageur a abordés, mondes de la subversion sociale et religieuse, ces îles bénéficient d’un statut singulier : de tels territoires découverts au hasard d’un voyage rapporté dans les liminaires de la relation impriment le sceau du possible au récit  fictif  consacré à  la mise en scène de la société utopique. Si  cette perversion de la relation de voyage  a pour première ambition de  ruser avec la censure (ceci est un conte…), elle libère l’écrivain, qui a pris la défroque du « relateur », de  l’obligation de se justifier, puisqu’il semble ne s’agir que d’une simple relation de voyage. Le récit utopique mime l’expérience du réel et crée sa propre vérité.

La littérature de voyage est-elle de la littérature ? Si la fiction se revendique du littéraire, la relation de voyage le refuse au nom de l’authenticité du récit et de l’autopsie. Si la vision myope du voyageur ancien s’applique à ce qui intéresse spécifiquement son entreprise viatique (faune, flore, « débris de l’Antiquité », conversion des gentils, commerce, exploration, etc.), l’art d’écrire serait un voile très indiscret pour saisir la nature et les hommes dans leur vérité : d’où un discours préfaciel récurrent qui oppose l’homme d’expérience à l’homme de lettres qui se complait, dans son cabinet, à faire de la littérature et de la philosophie sur ce qu’il n’a pas vu.  La pratique du feuilleton de presse qui découpe le récit et crée une forme adaptée à la diffusion  industrielle est-elle une variété nouvelle de la littérature ou sa contrefaçon pour le plus grand nombre ? Le périodique spécialisé dans la relation de voyage naît et prospère au moment où le roman d’aventure fait rêver les enfants de M. Homais, sevrés de gloire et d’aventures lointaines.

Á mesure que l’on pense en saisir la forme et le sens, la littérature de voyage échappe : ce n’est pas un jardin à la française, on y trouve des bosquets, des chemins qui ne mènent nulle part, des trouées ouvertes sur le ciel, des déserts et des forêts où piaillent les aras. Les images et les couleurs se fondent dans des kaléidoscopes plus ou moins réussis. La littérature est de surcroît.

 

Programme: 

Vendredi 16 mars

9 h : Ouverture du colloque

François Moureau (Université Paris-Sorbonne, CRLV)
Luc Fraisse (Université de Strasbourg, ADIREL)

I. Voyageurs et voyageuses.

Présidence : Luc Fraisse

9 h 30 : Christine  Ferlampin-Acher (Université de Rennes 2) :

Le voyage d'Outremer  de Bertrandon de la Broquière: un Bourguignon du 15e siècle en Orient

10 h : Elisabeth Schneikert (Université  de Strasbourg):

Montaigne et le corps en voyage

10 h 30 : Discussion et pause

11 h : Samuel Thévoz (Université de Lausanne) :

Une « étrange nature » : se savoir femme à la fin du xixe siècle. émergence d’un imaginaire féminin dans le Voyage dans l’Himalaya de Marie de Ujfalvy-Bourdon

11 h 30 : Jessica Desclaux (Université Paris-Sorbonne) :

Quand le récit de voyage dialogue avec l’enquête : l’exemple d’Une enquête aux pays du Levant de Maurice Barrès

12 h : Discussion

II. Saveurs et images du voyage.

Présidence : Marie-Christine Gomez-Géraud. 14 h : Caroline Prud’Homme (University of Liverpool) :

Un monde de saveurs. L’expérience culinaire chez quelques voyageurs de la fin du Moyen Âge

 14 h 30 : Béatrice Fink (University of Maryland) :

Un gastronome et businessman en soutane: le Voyage aux isles de l'Amérique de Jean-Baptiste Labat

15 h : Discussion et pause

15 h  30: Irini Apostolou (Université d’Athènes) :

Images réelles - Images fictives de l’Orient aux 18e  et 19e  siècles : le regard des artistes-voyageurs

16  h 15 : Claude Reichler (Université de Lausanne) :

Savants en voyages et en images

17 h : Danièle Méaux (Université Jean Monnet, Saint-Étienne, CIEREC) :

Photographes voyageurs en Europe orientale : entre reportage, relation autobiographique et démarche artistique

17 h 45 : Discussion

Samedi 17 mars

III. De la Méditerranée aux Orients.

Présidence : Philippe Antoine

9 h. Carmen Depasquale (Université de Malte) :

Voyages autour de Malte au 18e siècle

9 h 30 : Sarga Moussa (CNRS, Université Lyon II, UMR LIRE) : 

Critique du voyage. L’exemple de Flaubert en Orient

 

10 h : Guy Galaska (Bruxelles)

: Le Sacré et le Profane en Terre sainte.

Au croisement de deux géographies des voyages.

 

10 h 30 : Discussion et pause

11 h : Arzu Etensel Ildem (Université d’Ankara) :

Jean de Thévenot et Evliya Çelebi : le commun et l’étrange

11 h 30 : Philippe Ménard (Université Paris-Sorbonne) ;

L'écriture du récit de voyage : les références du narrateur au voyageur dans le Devisement du Monde de Marco Polo

12 h : Sylviane Albertan-Coppola (Université de Picardie Jules Verne) :

Des récits de voyages à la collection Prévost : les Chinoises dans tous leurs états

12 h 30 : Discussion

IV. Poétiques du voyage.

Présidence : François Moureau

14 h 15: Jean-Claude Laborie (Université de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense) :

Pour une poétique du récit hétérologique : le paradigme du voyage au Brésil au XVIe siècle

14 h 45 : Sylvie Requemora-Gros (Université de Provence) :

Le genre « métoyen » en question : le cas de l’épisode algérien de Regnard

15 h 15  : Véronique Magri (Université de Nice Sophia-Antipolis) :

La reformulation dans le récit de voyage

15 h 45 : Odile Gannier (Université de Nice-Sophia-Antipolis, CTEL) :

Autodénigrement et autodérision de l’écrivain voyageur : une rhétorique du chleuasme

16 h 15 : Discussion et pause

17 h : Guillaume Thouroude (Queen’s University,  Belfast) :

Lieux de mémoire, non-lieux et lieux communs dans l’œuvre viatique de Jean Rolin.

17 h 30 : Frank Lestringant (Université Paris-Sorbonne)

Gide voyage : du Voyage au Congo au Retour de l'U.R.S.S. (1925-1936).

18 h : Discussion

18 h 15 : François Moureau (Université Paris-Sorbonne, CRLV) :

Conclusions.